Le théâtre de l’absurde
La nature est bâtie sur un système binaire, fait d’appels et de repons. La règle qui régit toute équation s’articule autour du principe du yin et du yang. Ceci et son contraire. Et c’est de dualité, de l’attraction des contraires que provient l’équilibre. Pour reprendre un terme mathématique, pour résoudre une équation, nous avons besoin d’équivalences.
Le principe du plan incliné entraine une situation d’inconfort ou de déséquilibre, une invitation à expérimenter l’absence de contraire (annulant ainsi l’effet de balancier). Il s’agit d’une manière d’oxymore qui remet en question la notion même de plan qui, au-delà d’être une prévision, représente également une surface plane.
Sur le plan incliné, nous devons soudain assumer un principe schizophrénique qui nous contraint, pour être en mesure d’avancer, d’être à la fois ceci et son contraire ce qui entraine une forme de verticalité hybride : une verticalité qui n’en est plus une. Nous entrons dans un monde biaisé, un monde dont la réalité nous échappe, un trompe-l’œil qui va devenir le théâtre d’une « réalité augmentée», pour reprendre une terminologie liée aux nouvelles technologies.
C’est l’expérience d’une mise en apesanteur, d’une mise en suspension où l’absurdité devient le seul moyen de se maintenir en équilibre. Le seul moyen d’apporter le nécessaire contraire à la tentation physique de tomber et d’assumer ce risque comme une condition sine qua non de survie. À ceci près qu’ici, nous fabriquons une forme de tautologie : avancer, c’est ne pas tomber. Comme en physique, nous inventons un algorithme qui transforme l’absurdité en normalité.
Car se maintenir debout, selon les lois naturelles, devient une anti-norme. Nous sommes condamnés à un funambulisme incertain, sans objet et sans direction précise. Un pas ne sert plus à avancer, mais à se maintenir. Le plan incliné renvoie à l’expérience solitaire de Bidjocka, et sonne comme une réponse, ou du moins un prolongement de l’exposition « Le plan prend forme », qui nous pousse à nous poser la question du temps. Quelque chose, de manière évidente, a dysfonctionné. Mais quoi ? Peut-être cette nouvelle expérience n’est-elle qu’un moyen de nous contraindre à nous poser la question collectivement. Qu’est devenu le plan, c’est-à-dire la projection que nous nous faisions de nous-mêmes ?
Peut-être n’est pas un hasard, après tout, si la justice est, dans de nombreuses cultures, représentée par une balance. Peut-être ce déséquilibre de fait dans lequel nous entrainent Bidjocka et Pefura est-il compensé par la dualité. Cette dualité indispensable à tout équilibre. Peut-être, à leur insu, représentent-ils cette balance qui nous fait cruellement défaut. Ils sont deux, mais sont devenus un, parvenant ainsi à résoudre l’équation posée par Ernst Bloch avec sa question essentielle : le problème, en soi, du Nous.
Simon Njami